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Des plantes sexuées qui produisent des clones

Publicado: Jue Ene 07, 2016 9:29 pm
por Rivalpo
À chaque génération, la reproduction sexuée mélange les caractères des parents : les plantes hybrides utilisées par les agriculteurs perdent rapidement les caractéristiques pour lesquelles elles ont été sélectionnées. Les choses pourraient changer : on sait désormais obtenir des graines clonales avec une plante modèle.

C'est un rêve de l'agriculture moderne. Récupérer chaque année une partie des graines récoltées, afin de les semer l'année suivante, comme en agriculture traditionnelle. Aujourd'hui, pour maintenir le niveau et la qualité de leur production, les agriculteurs qui utilisent des méthodes modernes sont en effet contraints, pour beaucoup d'espèces végétales, d'acheter chaque année aux semenciers industriels des graines hybrides, produites à partir de lignées pures.

Celles-ci sont soigneusement sélectionnées pour leur résistance aux maladies, à la sécheresse, ou encore pour leur grande productivité. Mais comme la plupart des plantes cultivées, tels le riz ou le maïs, ont une reproduction sexuée, le génome de chaque graine produite en laissant faire la nature est un mélange aléatoire d'une partie des génomes de chacun de ses parents. Si on les resemait, on perdrait rapidement en homogénéité, et les caractéristiques optimales des graines initiales disparaîtraient dès la première génération.

Cette situation pourrait-elle changer ? C'est l'enjeu des travaux présentés en février dernier par l'équipe de Raphaël Mercier, de l'INRA de Versailles-Grignon, associée à des chercheurs du Conseil de la recherche scientifique et industrielle d'Hyberabad, en Inde, et de l'université de Californie. Ils ont en effet produit, avec une plante modèle à reproduction sexuée, des graines dont le génome est l'exacte copie du génome d'un seul de ses parents . Autrement dit, ils ont produit des graines clones par reproduction sexuée. L'arabette des dames Arabidopsis thaliana qu'ils ont ainsi transformée n'est pas une plante agricole, mais ils ont déposé un brevet, et ils ont entrepris d'appliquer leur découverte au riz.

Formation des gamètes

« À l'origine, nous n'avions pas du tout pour objectif d'obtenir des plantes à descendance clonale » , se remémore Raphaël Mercier. Y parvenir a été une chance puisque, depuis trente ans, des dizaines d'équipes s'employaient en vain à transformer des plantes dans ce but. Certaines essayaient de comprendre les mécanismes mis en oeuvre chez les plantes sauvages qui se reproduisent sans fécondation, afin de les transposer à des plantes à reproduction sexuée.

Plus de 400 espèces de plantes sauvages, dont le pissenlit, l'aubépine ou encore la renoncule, ont en effet un mode de reproduction original, nommé apomixie, qui les rend capables de produire des graines génétiquement identiques à la plante mère. Mais les mécanismes de l'apomixie se sont révélés trop difficiles à décrypter et demeurent un mystère. D'autres équipes ont, elles, tenté directement d'obtenir des plantes apomictiques en réalisant des hybridations entre espèce sauvage apomictique et espèce sexuée. Sans plus de succès.

Raphaël Mercier ne s'intéressait pas à l'apomixie. Il voulait comprendre le processus d'élaboration des cellules sexuelles, les gamètes, chez les plantes sexuées. Plus exactement, il s'intéressait à la méiose, une division cellulaire qui intervient dans ce processus.

Au cours de la division cellulaire ordinaire, la mitose, une cellule mère, qui contient des paires de chromosomes cinq chez l'arabette, se divise en deux cellules filles qui lui sont identiques. Au contraire, la méiose produit des cellules filles qui n'ont plus qu'un seul chromosome de chaque paire. En outre, pendant la méiose, les chromosomes d'une même paire se recombinent : ils échangent des gènes. Les chromosomes des gamètes portent donc une information génétique originale.

En décryptant les fonctions des gènes qui gouvernent la méiose chez l'arabette, Raphaël Mercier et ses collègues français ont réussi à la remplacer par une mitose dans la production des gamètes. En modifiant seulement trois gènes, ils ont supprimé la recombinaison, ainsi qu'une des deux étapes de division successives de la méiose. Ils ont ainsi obtenu des lignées de plantes qu'ils ont baptisées MiMe pour mitose - méiose. Dans cette lignée, il n'y a ni brassage génétique ni réduction du nombre de chromosomes, si bien que les gamètes de ce mutant ont exactement les mêmes chromosomes que la plante mère.

« Nous avions donc notre lignée MiMe, mais nous ne pouvions pas l'utiliser telle quelle » , se souvient Raphaël Mercier. Il fallait en effet surmonter un obstacle de taille : un surplus de chromosomes. À la première génération de la lignée MiMe, les gamètes ont les 5 mêmes paires de chromosomes qu'une cellule normale. Quand on les féconde entre eux, on obtient donc une graine pourvue de 5 chromosomes en 4 exemplaires : c'est deux fois trop. La plante peut s'en accommoder, mais le nombre de chromosomes doublant à chaque génération, on est vite confronté à des problèmes de viabilité insurmontables. Que faire ?

La solution est venue d'outre Atlantique. L'équipe de Simon Chan, de l'université de Californie, venait en effet de créer par hasard un mutant d' Arabidopsis thaliana nommé GEM, dont les chromosomes s'éliminent après la fécondation. L'équipe française, avec l'équipe indienne, a alors entrepris de croiser MiMe et GEM en espérant que les chromosomes de ce dernier seraient bien éliminés. « Nous avons constaté qu'une partie des graines obtenues était des clones génétiques, identiques à leur mère ou à leur père, explique Raphaël Mercier. Quand on continue les croisements, cette fois entre certains des clones obtenus et le mutant GEM, une partie des plantes de la deuxième génération sont encore des clones de leur mère et de leur grand-mère. En somme, nous avons observé que l'obtention de clones est possible sur plusieurs générations. » Ainsi, pour la première fois, on faisait produire des graines clonales à une plante sexuée.

Rendement insuffisant

Verra-t-on bientôt de telles graines dans les champs ? Pas sûr, car plusieurs problèmes demeurent. Le premier est celui du rendement. Un croisement entre une plante femelle MiMe et une plante mâle GEM ne fournit que 33 % de graines clonales possédant uniquement les chromosomes de leur mère. À la deuxième génération, si on recroise une plante MiMe avec une plante GEM, le rendement de clones reste de l'ordre de 30 %. « Pour une application agricole, ce rendement doit être au minimum de 95 % afin que toutes les descendances soient homogènes » , explique Raphaël Mercier.

Le second problème est la transposition des lignées MiMe et GEM à des plantes dignes d'intérêt comme les céréales, base de l'alimentation. « Sur le papier, le transfert semble assez simple puisqu'il suffit de modifier l'expression de 4 gènes : les trois impliqués dans le changement de la méiose en mitose et celui de la lignée GEM », commente Daniel Grimanelli, de l'institut de recherche pour le développement de Montpellier. Les 3 gènes modifiés dans la lignée MiMe sont présents dans toutes les plantes, donc il semble faisable de les retrouver et de modifier leur expression dans des espèces différentes de l'arabette des dames. D'ailleurs, certains ont déjà commencé, à l'instar de l'équipe de Raphaël Mercier. Ils ont muté 2 de ces gènes chez le riz.

Autofécondation

L'opération sera plus difficile pour la lignée GEM. Il ne s'agit pas, comme pour MiMe, de modifier un gène pour inactiver la protéine que code celui-ci. Il faut réaliser une modification plus subtile, qui modifie légèrement la protéine tout en la laissant fonctionnelle.

L'ultime défi de l'ingénierie végétale sera l'obtention d'une plante capable de produire des graines clonales toute seule. C'est-à-dire « une plante qui serait à la fois femelle pour le caractère MiMe et mâle pour le caractère GEM, et qui pourrait s'autoféconder » , explique Raphaël Mercier, dont le laboratoire travaille aussi à cette réalisation. Car aujourd'hui, pour obtenir ces fameuses graines, les croisements entre MiMe et GEM sont exécutés manuellement.

Malgré tous ces défis technologiques à relever, scientifiques et semenciers croient à la production de graines clonales chez des plantes d'intérêt agronomique. En tête de liste figurent le riz et le maïs, deux céréales à la base de l'alimentation mondiale. « L'apomixie est intéressante à la fois pour les espèces, comme le riz ou le blé, pour lesquelles on ne sait pas faire simplement des hybrides, mais aussi quand la réalisation d'hybrides est possible mais très onéreuse » , résume Daniel Grimanelli.

« L'apomixie représenterait pour nous un outil supplémentaire » , estime Thierry Ronsin, directeur de la recherche sur le maïs du semencier français Limagrain. Pour ce semencier, l'un des plus importants du monde, après la création d'une variété présentant d'excellentes qualités, la production de graines pourrait être réalisée par apomixie. Ces graines clonales seraient alors moins coûteuses que les graines obtenues par hybridation, grâce notamment au gain de temps dans leur production. Le semencier sait que les agriculteurs les plus fortunés continueraient d'acheter de nouvelles variétés de plantes, dont les graines seraient obtenues par clonage. Mais les paysans les plus pauvres, ceux qui pratiquent l'agriculture de subsistance, auraient le choix de n'acheter qu'une seule fois des graines de qualité, tout en conservant cette qualité au fur et à mesure des récoltes.

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