Les secrets de l’hérédité épigénétique
Publicado: Mar Feb 18, 2014 11:34 pm
Deux Aradopsis montrant des différences héritables de floraison -précoce à gauche, tardive à droite-
causées par des variations d'ordre épigénétique
Nous sommes en 1857, dans un monastère perdu de Moravie. Seul, obstiné, passionné, le botaniste Gregor Mendel se lance dans un minutieux travail : il croise des milliers de plants de petits pois. La suite est légendaire : en 1865, après huit années d’efforts, il jette les bases de la génétique moderne. Une révolution silencieuse, tant elle se heurte à un mur d’indifférence. On ne découvrira l’importance des « lois de Mendel » qu’en 1900.
Aujourd’hui encore, « il n’y a pas de meilleur outil que les plantes pour étudier la génétique », souligne Vincent Colot, de l’Institut de biologie de l’Ecole normale supérieure (ENS-CNRS-Inserm, Paris). Le 6 février, il a cosigné dans Science Express une étude révélant que deux caractères végétaux complexes – la longueur des racines et la période de floraison – peuvent être déterminés par la seule présence ou absence de petits groupes chimiques (des groupes « méthyle ») sur l’ADN. Sans qu’aucun changement de la séquence de l’ADN se produise. Ces variations de caractères sont transmises sur au moins huit générations. Ce travail a été réalisé avec Frank Johannes, de l’université de Groningen (Pays-Bas).
LA QUESTION DU POIDS DE L’ENVIRONNEMENT
On savait déjà que certaines variations de caractères héritables, chez les plantes ou les animaux, sont portées par des modifications chimiques de l’ADN et des protéines qui l’entourent. C’est tout le champ de l’épigénétique, une discipline en plein essor. Elle met en émoi, car elle pose la question du poids de l’environnement dans cette hérédité : stress subi par les ascendants, exposition précoce à des toxiques…
Attention pourtant : on invoque bien souvent des phénomènes épigénétiques sans en avoir démontré l’existence – à de très rares exceptions. « Toute la difficulté est de distinguer, dans l’hérédité des variations de caractères, la part issue des changements de la séquence de l’ADN et la part liée aux changements épigénétiques. Dans les conditions naturelles, ces deux types de changements coexistent et s’influencent mutuellement », explique ce spécialiste d’épigénétique.
Pour s’affranchir de cette difficulté, les chercheurs ont eu recours à un élégant système. Leur modèle n’aurait certes pas inspiré Van Gogh : chétive, Arabidopsis intéresse surtout les chercheurs. Son atout : un génome trente fois plus petit que le génome humain.
« Nous avons utilisé un mutant d’Arabidopsis qui possède un gène défectueux : le gène ddm1, qui gouverne la méthylation de l’ADN. Le génome de ce mutant est très peu méthylé. » Les chercheurs ont croisé ce mutant avec la plante sauvage, et recroisé le descendant obtenu avec la plante sauvage pour éliminer l’événement déclencheur (la mutation ddm1). Surtout, ils ont identifié un millier de séquences d’ADN « hypométhylées » de façon stable, dans des régions précises du génome.
200 RÉGIONS POURRAIENT ÊTRE LIÉES À CETTE HÉRITABILITÉ
Mieux : le degré de méthylation de ces régions rend compte de 60% à 90% des variations héritables de la longueur des racines et de la période de floraison. Les auteurs ont identifié 200 régions qui pourraient être liées à cette héritabilité. Par ailleurs, les chercheurs ont fait séquencer par le Genoscope le génome de près d’une centaine des lignées produites. « Un travail très lourd, mais indispensable » pour démontrer l’absence d’implication des changements de la séquence d’ADN dans l’héritabilité mesurée.
Pour autant, « nous sommes, ici, dans un système artificiel, tempère Vincent Colot. Mais nous avons des indices de l’existence de variations épigénétiques dans la nature ». Les chercheurs vont maintenant explorer les conditions de l’environnement – notamment les stress – qui peuvent induire ces changements épigénétiques observés.
L’hérédité épigénétique pourrait-elle répondre à la question de l’« hérédité manquante » ? Chez les plantes et les animaux, une grande partie de l’héritabilité des caractères complexes ne s’explique ni par l’environnement ni par les séquences de l’ADN. Un exemple : 20 % de la taille humaine est déterminée par l’environnement, et seulement 10 % par des variations simples de la séquence de l’ADN. D’où vient la variabilité des 70 % restants ? Mystère.
« Les variations épigénétiques n’expliqueront pas toute l’hérédité manquante, dit Vincent Colot. Leur poids est sans doute supérieur chez les plantes. Car chez les mammifères, les marques épigénétiques sont effacées à chaque génération, lors de la formation des gamètes ou du développement embryonnaire précoce. Ce n’est pas le cas chez les végétaux. »
QUID DES PERSPECTIVES AGRONOMIQUES ?
Reste la grande question du rôle de l’hérédité épigénétique dans l’évolution. « C’est une hérédité transitoire : les changements épigénétiques sont moins stables que les mutations de l’ADN, analyse Vincent Colot. Mais c’est une hérédité réactive : elle capte très bien les changements de l’environnement. Elle pourrait permettre une adaptation provisoire de l’espèce en attendant que la sélection naturelle favorise les mutations propices. » Et qu’elle les inscrive dans le marbre de l’ADN.
Quid des perspectives agronomiques ? Pourrait-on créer une variation épigénétique héritable – sans toucher à la séquence du génome végétal, donc sans créer d’OGM ? « Ce pourrait être une nouvelle façon de créer une variabilité de faible amplitude, pour améliorer une lignée déjà intéressante », estime Alain Charcosset, de l’Unité de génétique végétale de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA, Le Moulon).
« Chaque année, un jour de printemps, en pénétrant dans le jardin [du Luxembourg], je ressens le même choc, la même stupéfaction, raconte François Jacob dans La Souris, la Mouche et l’Homme (Odile Jacob, 1997). Chaque année, c’est le même émerveillement devant les bourgeons qui éclatent et commencent à éclore ; devant ces débuts de feuilles, cette dentelle verte qui décore les branches et tremble sous la brise, comme si elle craignait de rater son coup. Mais le plus stupéfiant, c’est qu’elle ne le rate jamais. » Le printemps est pour bientôt : l’occasion de songer aux jardins secrets de cette génétique qui contribuent à faire ainsi tourner la « grande machine » de l’Univers, « indifférente aux affaires des hommes ».
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/02/17/les-secrets-de-l-heredite-epigenetique_4368151_1650684.html