Le haschich marocain, du kif aux hybrides

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Le haschich marocain, du kif aux hybrides

Mensajepor Rivalpo » Lun Oct 19, 2015 1:00 pm

Salut,

quelques infos récentes très intéressantes et extrêmement bien documentées sur l' histoire du cannabis au Maroc, et notamment sur l'introduction de variétés hybrides et les conséquences en termes de production, qualité du hasch et impact environnemental.

Bonne lecture ;)


Le haschich marocain, du kif aux hybrides

Le cannabis ne fut vraisemblablement introduit au Maghreb qu’avec les invasions arabes du VIIe siècle mais les connaissances relatives à l’histoire de sa culture dans le Rif sont extrêmement limitées dès lors que la région septentrionale du Maroc, bordée par la Méditerranée, est longtemps restée isolée, sa population berbère en ayant interdit l’accès jusqu’à la fin du XIXe siècle. Au Maroc, le kif, de l’arabe kayf pour « plaisir », désigne tant la plante que le mélange de cannabis et de tabac traditionnellement fumé dans les pipes sebsi.

La plante de cannabis appelée kif est une variété locale adaptée au stress hydrique de la région septentrionale du Rif dans laquelle elle est cultivée depuis plusieurs siècles. Le kif serait une souche primitive (landrace en anglais), c’est-à-dire un vieux cultivar que l’isolement géographique aurait laissé évoluer en fonction de son environnement naturel et culturel (techniques de culture et de sélection).

Le kif désigne aussi bien la préparation du cannabis destiné à être fumé que la plante elle-même, tandis que le haschich désigne la résine fabriquée à partir de la plante. Le Maroc est un producteur de kif et de haschich, bien que très peu de kif y soit encore cultivé et consommé et que seul le haschich soit exporté. Selon le botaniste spécialiste du cannabis Robert Connell Clarke, la variété de kif, une sativa, aurait évolué au cours des deux ou trois dernières décennies lors de la transition entre la production du mélange à fumer et celle de haschich .


La rupture ses années 80

Ainsi, au début des année1980, des intermédiaires marocains et étrangers introduisirent vraisemblablement de nouvelles variétés de cannabis originaires du Proche-Orient et peu gourmandes en eau . Pour certains spécialistes, la variété de kif qui dominait ces deux dernières décennies serait le résultat d’un croisement entre la souche primitive du kif et la variété libanaise, probablement introduite au Maroc en même temps que la technique de production du haschich.

Quoi qu’il en soit, avant que le kif ne soit cultivé dans le but de produire du haschich, les plants étaient larges et bien fournis en branches ; ils étaient répartis à bonne distance les uns des autres sur des parcelles adéquatement fumées (engrais) et correctement alimentées en eau. Les trois variétés traditionnelles, la ktami, la zerwali et la gnawi, nécessitaient en effet toutes d’être irriguées. En 1988 déjà, Robert C. Clarke insiste sur l’aspect frêle et pauvre en branches des plants de kif qu’il observait dans le Rif: selon lui, les qualités du kif traditionnel avaient alors déjà été perdues par les cultivateurs modernes et la qualité du haschich produit s’en était très vite ressentie

La dernière décennie a vu les conditionnements du haschich marocain saisi en Europe changer et les taux de tétrahydrocannabinol (THC) augmenter. Les polices des stupéfiants européennes ont remarqué lors des saisies des dernières années que les « savonnettes » de 250 grammes (grande majorité des conditionnements des années 1980 et 1990) avaient tendance à disparaître et à être remplacées par des boules (de taille variable : de la tomate au petit melon) de 200 grammes, des tablettes de 100 grammes et des boulettes en forme d’olives de 10 grammes .

Ces différents conditionnements révèlent des qualités de produit et des prix variables. Actuellement, les « olives » de haschich représentent en général la meilleure qualité sur le marché. Mais c’est bien la hausse importante des taux de THC des résines de cannabis saisies dans l’Union européenne, et notamment en France, qui indique depuis plusieurs années maintenant que la production marocaine de haschich est sujette à certaines transformations.

En effet, l’analyse d’une partie des échantillons saisis en France a montré une augmentation des taux de THC moyens de 8 % lors des années 1980 et 1990 à 10 % en 2007, puis 12 % en 2011, 16 % en 2012 et jusqu'a plus de 17 % en 2013 (maximum de 39% relevé en France).


Renouveau du haschich marocain

Si les observations réalisées en 2013 dans le Rif permettent de confirmer la réduction de superficies cultivées en cannabis, elles révèlent aussi que cette réduction s’est faite de concert avec le remplacement progressif du kif par divers hybrides. La majorité des parcelles visitées ou observées en 2013 étaient en effet cultivées avec des hybrides dont les dominantes indica différaient de l’apparence sativadu kif.

Les hybrides désormais cultivés dans le Rif se distinguent aisément du kif : les plants hybrides sont riches en branches, trapus, chargés de sommités denses et lourdes, très aromatiques, alors que les sativa sont nettement plus élancées (le kif tout particulièrement) et distinctement moins fournis en branches et en sommités.

La substitution d’hybrides au kif peut expliquer pourquoi la production de haschich marocain aurait peu baissé, alors que les superficies cultivées ont bel et bien été réduites. Le recours aux hybrides explique aussi la hausse rapide et importante du taux moyen de THC de la résine marocaine, telle qu’observée sur les saisies dans divers pays de l’Union européenne.

En effet, les entretiens menés auprès de cultivateurs de cannabis du Rif révèlent que les hybrides permettent d’obtenir des rendements à l’hectare en résine supérieurs à ceux du kif et que les effets psychotropes du haschich produit à partir de ces hybrides sont plus importants que ceux du haschich marocain traditionnel, ce qui correspond, selon eux, aux préférences actuelles des consommateurs européens.

Alors que des plants de cannabis de type indica avaient déjà été remarqués en 2004 par certains enquêteurs de l’ONUDC, aucune mention de leur culture au Maroc n’a toutefois été faite dans aucun des trois rapports de l’agence onusienne sur le Maroc ou dans ses rapports mondiaux subséquents. Le recours à la variété dite « pakistanaise » au milieu des années 2000, première variété hybride introduite et cultivée commercialement au Maroc, avait pourtant été mentionné aux enquêteurs de l’ONUDC dès 2004.

À ce stade, les connaissances relatives à la nature des hybrides cultivés au Maroc, ainsi qu’à l’origine des semences et à leurs modalités et réseaux d’importations, restent toutefois embryonnaires. Il est probable que l’essentiel de l’approvisionnement des cultivateurs en semences, achetées légalement en Espagne ou aux Pays-Bas, soit le fait d’intermédiaires marocains et étrangers impliqués dans la production et/ou, dans le trafic de résine marocaine.

Les entretiens réalisés avec des cultivateurs marocains indiquent aussi que la culture des hybrides est largement initiée de l’extérieur (Europe) par le biais de commandes spécifiques. Il ne fait enfin aucun doute, désormais, que les hybrides de sativas et d’indicas remplacent progressivement le kif sur les parcelles du Rif, ce qui a permis une hausse importante des rendements d’une résine dont la concentration en THC a, comme on l’a indiqué plus haut, doublé en dix ans (au vu des saisies européennes et notamment françaises)


Des rendements en hausse

D’après les dires des cultivateurs, la khardala, l’hybride le plus fréquemment rencontré dans le Rif en 2013, permettrait de récolter jusqu’à 7 kilos de résine la première année et, si les graines produites sont semées, 5 kilos la deuxième année et 3 kilos la troisième année, lorsque de nouvelles semences doivent être achetées. De tels rendements correspondent à des taux annuels d’extraction de résine de 7 %, 5 %, et 3 % : donc de 5 % en moyenne sur la période des trois années considérées.

De tels taux sont de loin supérieurs à ceux permis par la culture du kif qui, d’après les enquêtes menées par l’ONUDC au milieu des années 2000, permettait d’extraire 2,8 % de résine en 2004 et seulement 2 % en 2005 (méthode d’estimation des rendements révisée par l’ONUDC). Les données de l’ONUDC corroborent celles du botaniste Robert C. Clarke qui rapporte que, en 1987, 4 personnes expérimentées pouvaient en environ dix heures extraire entre 2,25 % et 4,25 % de résine (selon la qualité recherchée) à partir de 200 kilogrammes de kif.

La culture de a khardala et d’autres hybrides permettrait ainsi de multiplier les rendements en résine par deux ou trois en moyenne sur une période de trois ans (précision relative des estimations des rendements du kif par l’ONUDC et de celles de la khardala par les producteurs locaux). Dès lors, l’incohérence qui semble exister entre la production extrapolée sur la base des superficies cultivées, d’une part, et la production estimée au regard des saisies internationales, d’autre part, pourrait donc bien s’expliquer par le recours croissant aux hybrides dans le Rif


Impacts en termes écologiques et sociaux

Le recours à une culture d’hybrides aux rendements élevés et la production consécutive d’un haschich aux taux de THC accrus sont passés inaperçus. Les rapports mondiaux de l’ONUDC n’ont pas fait mention d’un phénomène pourtant majeur et leur dernier rapport, publié en 2014, fait même l’impasse complète sur la question de la production de cannabis au Maroc.

Le rapport annuel du département d’État des États-Unis consacré aux drogues dans le monde n’a lui non plus pas encore mentionné les changements en cours au Le fait que les développements récents de la production de haschich marocain soient ignorés pose problème dès lors que la situation écologique et économique du Rif est plus que jamais d’actualité.

L’impact écologique de la culture des hybrides est en effet encore plus important que celui, déjà conséquent, de la culture du kif  : outre l’épuisement et la pollution des sols, aggravés par les hybrides gourmands en intrants chimiques, ce sont les ressources en eau de la région que la culture des hybrides risque d’épuiser rapidement.

L’irrigation impérative des hybrides contraint en effet les agriculteurs à puiser en profondeur dans les nappes souterraines, les forages de puits d’une centaine de mètres de profondeur se multipliant rapidement dans la région. Ces nouvelles pratiques ont d’ailleurs accentué les tensions locales, la rareté de l’eau provoquant parfois des conflits entre cultivateurs de cannabis.

Les petits cultivateurs, qui n’ont pas les moyens d’utiliser des techniques d’irrigation plus performantes, sont en effet excédés par la surexploitation des réserves d’eaux souterraines et de surface par les grands cultivateurs. Si le coût de la culture des hybrides n’est pas connu, celui de la production du haschich ne l’est pas non plus, qu’il s’agisse de la résine produite à partir du kif ou de celle produite à partir des hybrides.

Compte tenu des achats de semences étrangères, du recours à l’irrigation (puits, pompes, tuyaux, arroseurs) et aux engrais, le coût de production du nouveau haschich est à n’en pas douter largement supérieur à celui de la résine traditionnelle. Il est possible et même probable que les marges des cultivateurs de cannabis et des producteurs de haschich aient augmenté lors du passage aux hybrides, mais le fait que les revenus nets des uns et des autres ne soient pas connus interdit d’estimer la compétitivité d’une quelconque alternative économique à l’industrie du cannabis, agricole ou pas.

Le fait que la production d’une résine de nouvelle génération soit ignorée est d’autant plus problématique que les programmes de développement alternatif ont échoué dans la région, et pas seulement ceux qui se sont révélés contreproductifs. C'estdans ce contexte que le pilier II du Plan Maroc vert (2012-2016), élaboré par le ministère de l’Agriculture, consacre 68 millions d’euros à des projets de développement agricole dans le nord du Maroc, sans qu’aucune étude ait été menée sur la nouvelle économie du haschich.

Mettre en œuvre un programme de développement de cette envergure dans une région en partie livrée à la monoculture du cannabis sans disposer de données fiables et récentes sur l’économie qu’elle engendre est problématique. Le futur du Rif et des centaines de milliers de personnes qui vivent encore probablement de l’économie du haschich reste pour le moins incertain, tant du point de vue écologique qu’économique et social. En effet, alors que les provinces situées autour de l’espace originel de culture de cannabis (Tanger, Tétouan, Chefchaouen, Taounate, Taza, etc.) semblent profiter de projets de développement, ce même espace reste encore marginalisé et sous-développé.
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Rivalpo
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Mensajepor Rivalpo » Lun Oct 19, 2015 1:08 pm

Les filières suisse, néerlandaise et espagnole des hybrides

Alors que les variétés de cannabis hybrides étaient, à l’instar de la célèbre skunk, destinées aux cultures d’intérieur, en 1997 des hybrides d’extérieur font leur apparition dans la vallée du Tessin, en Suisse. D’après une source ayant participé au développement de ces hybrides en Suisse, où la culture du cannabis fut légale pendant sept ans (jusqu’en 2003), la tenue des Canna Swiss Cups (variante suisse des Cannabis Cups organisées à Amsterdam) à Berne à partir de 1999 serait à l’origine de la diffusion des premiers hybrides au Maroc (donation personnelle).

Parmi les premiers hybrides suisses figurent la Walliser Queen (la reine du Valais), l’Alp King et la Red Valais, la première ayant remporté la première Canna Swiss Cup et ayant obtenu une deuxième place à Amsterdam la même année. La « pakistanaise » cultivée au Maroc au milieu des années 2000 pourrait bien être un hybride obtenu à partir de variétés sativa acclimatées en Suisse et de lignées pures afghanes (Afghani#1 ou Kush#1 par exemple).

Les premiers hybrides à avoir été semés au Maroc pourraient aussi l’avoir été avec des semences importées des Pays-Bas ou de Belgique, le développement de variétés de cannabis hybrides ayant une longue histoire aux Pays-Bas où des Marocains ont longtemps tenu des coffee shops. Quoi qu’il en soit, des semences d’hybrides sont désormais importées d’Espagne, notamment par des cultivateurs marocains, les producteurs espagnols de semences de cannabis concurrençant depuis plusieurs années leurs homologues néerlandais (entretiens en Espagne et au Maroc avec des cultivateurs de cannabis importateurs de semences espagnoles)

Une dizaine d'hybrides

Environ dix hybrides différents ont pu être été identifiés dans les parcelles et auprès des cultivateurs marocains en 2013. Le développement des hybrides aux dépens du kif a quant à lui pu être constaté au gré des parcelles visitées ou observées à distance, ce dont les noms vernaculaires prêtés aux différents hybrides ainsi que l’évolution de ceux donnés au kif semblent témoigner (entretiens avec des cultivateurs marocains). Alors qu’avant l’arrivée des hybrides les landraces étaient connues sous des noms affirmant leur origine locale : beldiya (de l’arabe bled, pays, région, localité), maghribiya (la «marocaine»), aadiya (normale, régulière), ou encore kdima dyalna (l’ancienne, la nôtre).

Les hybrides, quant à eux, sont désignés par des noms mettant l’accent sur leur caractère allochtone : par exemple gaouriya (l’«européenne», en argot marocain) et romiya (littéralement la «romaine», et par extension l’«étrangère»). La variété dite «pakistanaise» est appelée pakistana et il est aussi fait mention de jamaicana, de mexicana, de marijuana, et de hajala (la «veuve» : une variété[u] féminisée[/u).

La variété la plus répandue en 2013 porte le nom de khardala, littéralement le «mélange», le «panachage». Mais elle est aussi appelée berraniya, l’«étrangère». Malgré son aspect de sativa qui la fait ressembler au kif, ses qualités, telles que décrites par les cultivateurs, relèvent davantage d’une indica: elle est dense et trapue (maamra ou ghlida) et le goût et l’effet de sa résine sont loin de faire l’unanimité. Ses effets appellent parfois le qualificatif tatkherdel («qui rend fou»).

La khardala semble avoir remplacé la «pakistanaise », une variété à dominante indica introuvable en 2013 puisque abandonnée rapidement après son introduction dans le Rif pour cause de rendements décevants (les rendements en question n’ont pas pu être précisés). Certains cultivateurs estiment que la khardala sera bientôt remplacée par la gaouriya, une variété d’aspect clairement indica: petite, large et censée permettre des rendements élevés d’une résine forte en THC.

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